Mes 40 années de recherche SETI.
Un article de Philip
Morrison.
La proposition de recherche dans les micro-ondes.
A la fin de mon engagement militaire en tant qu'ingénieur combattant les
neutrons, au milieu des années cinquante, je me dirigeais vers l'astronomie
des hautes énergies. Avec les succès de la radio-astronomie, la
possibilité d'ouvrir de nouvelles voies de recherche était palpitante. En
1958, j'en vins à voir que les rayons gamma promettaient une nouvelle voie,
et me penchais à des prédictions précoces. Une des justifications était
leur grande facilité pour traverser la totalité du plan poussiéreux de la
Galaxie, contrairement à la lumière des étoiles en dépit de sa vitesse
lumière. Mon ingénieux ami et collègue de Cornell, Giuseppe Cocconi, vint
à moi avec une question. "Nous savons déjà produire des faisceaux de
rayons gamma (le synchrotron à électrons de Cornell était tout juste
sorti.) Pourquoi ne pas les expédier au travers de l'espace pour voir si
quelqu'un d'ailleurs pourra les détecter ?" C'était une question
surprenante, mais finalement stimulante. Ma réponse fut qu'ils devraient
regarder le spectre dans son entier, des ondes radio aux rayons gamma, et
choisir la meilleure bande pour de tels signaux.
Au cours de 1959, il en avait assez appris pour proposer les ondes radio
micro-ondes comme les mieux adaptées à l'écoute — mais pas encore
l'émission — d'Autres êtres aussi finis que nous-mêmes. Le propre
miroir radio de Cornell près d'Arecibo à Puerto Rico devait bientôt être
en mesure de détecter une autre semblable "galette" à des
distances interstellaires, si on l'orientait et l'alimentait convenablement,
et sa contrepartie émettrice en préparation à Arecibo serait bientôt
capable d'atteindre elle aussi les confins de la Galaxie. Les rayons gamma
étaient encore loin d'être bien maîtrisés, et la lumière optique se
confrontait à celle des étoiles. Les micro-ondes d'Arecibo, dans un
faisceau dirigé et sur une fréquence précisément ajustée, pourraient
alors complètement inonder les micro-ondes diffuses du soleil, aussi bien
que celle de la Galaxie entière, à 1420 mégaHertz (21 centimètres),
la ligne de l'hydrogène, déjà bien étudiée pour les radio-émissions
naturelles.
La Galaxie a fort peu changé en 40 ans, mais notre technologie et nos
connaissances ont énormément évolué. Aussi étrange que vrai, de toutes
les antennes radio de la Terre celle d'Arecibo est resté la plus grande, et
avec raison la meilleure pour la recherche. Les récepteurs micro-onde ont
été améliorés, mais pas les ordres de magnitude. Les signaux artificiels
interférant dans les micro-ondes ont beau être plus nombreux aujourd'hui,
l'expérience nous a montré quelques moyens d'en atténuer l'impact
(peut-être un jour devrons-nous écouter uniquement depuis le fond d'un
cratère de la face cachée de la lune, bien à l'abri de la plupart des
signaux interférents !)
Comment chercher.
Pour rechercher, vous devez décider : où viser, quand
écouter, combien de temps fixer chaque position choisie, quelle gamme
de fréquence couvrir, jusqu'à quelle sensibilité s'attendre à
détecter un signal, et sous quelle forme ? Seule une poignée de
projets de recherche systématique a été tentée jusqu'ici, le plus
souvent avec des ressources marginales, pour une tâche que nous
cherchons encore à définir. Nous sommes contraints à la fois
par les propriétés connaissables du monde naturel, et par les choix
intangibles qu'un émetteur putatif pourrait faire. Le premier de tous
les projets SETI fut mené en 1960 (indépendamment de notre propre
proposition, mais de façon compatible avec lui) par Frank Drake à
Green Bank, un radio-astronome reconnu. Il pointa une galette de bonne
taille vers quelques unes des étoiles les plus proches semblables au
Soleil — une par une — et découvrit de fugitives interférences de
la part de sources humaines non identifiées.
|

Frank Drake |
Considérez une grossière échelle de la tâche à accomplir. L'analyse
d'un grand secteur de ciel reste possible sans un grand capteur, mais cela
demanderait une puissance incroyable de la part du transmetteur, qui devrait
illuminer de nombreuses directions simultanément. Le faisceau récepteur
d'Arecibo peut séparer plusieurs milliers de directions dans un secteur de
ciel large de moins de 1 degré d'angle. Il faut 40 000 de tels
secteurs pour couvrir le ciel (n'oubliez pas le ciel de notre hémisphère
Sud, que nous avons tardivement commencé à regarder.) Regarderiez-vous
dans toutes les directions, ou bien choisiriez vous certains points
spéciaux ? Jusqu'ici il semblait raisonnable d'essayer les deux :
des faisceaux étroits, l'un après l'autre vers de multiples cibles
identifiables telles que les étoiles proches, et une couverture complète
du ciel là encore point après point pour des recherches moins précises.
Il n'est guère aisé de déterminer la puissance que nos contreparties
ambitieuses et inconnues devraient consacrer à leurs émissions. La majeure
partie de l'espace Galactique est fort éloignée, bien sûr, et pourrait
contenir de rares mais puissants émetteurs parmi d'innombrables étoiles,
alors que les étoiles proches sont moins nombreuses en comparaison et ne
nécessiteraient pas de rares capacités.
La physique des nuages de gaz diffus entre les étoiles de la Voie
Lactée implique que même les signaux les plus étroits subiraient une
dispersion en fréquences très tôt lors de leur voyage, jusqu'à acquérir
sans doute une largeur renforcée de 0,1 Hertz ; en considérant
cela, il n'est guère utile d'en analyser de moins larges. Même si nous
acceptons notre naïve recommandation de la bande des 1420 mégahertz,
il ne faudra pas moins d'une centaine de millions de réglages pour une
recherche plausible dans cette seule bande. Multipliez les choix de
fréquence par les directions, et une véritable recherche complète
requérra pas d'un trillion (un million de millions) de brefs instants
d'écoute. Bien sûr, nous considérerons des signaux fabriqués par des
lasers dans l'infrarouge et les bandes optiques — une tentative modeste
est en cours actuellement — et suivrons d'autres pistes au long du spectre
entier.
Croyez-vous qu'une seule visite suffirait pour chaque choix
possible ? Un émetteur qui balayerait le ciel pour économiser de la
puissance a devant lui la possibilité fatale que son choix aveugle de temps
dans la bonne direction et la bonne fréquence mette fin à toutes ses
chances de succès. La réponse est donc de répéter, répéter, répéter,
ou de brûler de la puissance sans bouger. Ces alternatives ont été
étudiées, et des choix plausibles faits — sans aucun doute il seront à
refaire quand nous en saurons plus.
Multiplicité.
Les participants à SETI@home eux-même démontrent les changements
majeurs survenus dans la technologie depuis 1960, pas tant dans les
nouvelles paraboles, les nouveaux récepteurs, ou même la nouvelle
connaissance des étoiles et de leur matière. C'est la multiplicité des
choix impliqués par la formidable croissance de la puissance informatique.
Les premières propositions comptaient enregistrer un millier de canaux
simultanés durant la recherche, un bon départ pour réduire le temps de
recherche. Aujourd'hui nous opérons des systèmes relativement bon marché
qui peuvent collecter les données d'un million de canaux simultanément. La
limite n'est clairement pas encore à portée de main. Le million et plus de
processeurs des volontaires mis en oeuvre actuellement pour analyser un
historique récent de données de recherche venant d'Arecibo n'est qu'un
signe de ce qui nous attendra dans le prochain siècle de traitement du
signal.
Rechercher dans le temps.
SETI portera un jour à rechercher dans l'espace de notre Galaxie,
l'hôte de quelques centaines de millions de soleils convenables. Une
quête extragalactique ouvre tant de possibilités qu'un
expérimentateur sera immédiatement défait, bien que son pinceau de
rayons couvre une large aire d'étoiles toutes en même temps dans une
galaxie distante. Toutes sont à des millions d'années lumières d'ici.
N'importe quel émetteur là-bas devrait endurer cet aller et retour
comme le temps minimum pour espérer une réponse. C'est tellement
énorme que cela transcende notre idée de l'histoire — notre propre
espèce n'est sans doute guère plus âgée que 100 000 ans — et
nous voyons bien qu'il est difficile de le planifier. Une brève étude
fut menée il y des années à Arecibo, vers la plus proche galaxie, la
spirale d'Andromède ; elle ne ramena aucun signal. Combien semble
faible la compréhension de ce qu'il faut trouver, et de la façon
d'agir sur de telles échelles de temps !
|

La Galaxie d'Andromède |
Mais il y a des délais de temps bien plus courts — mais bien plus
encore que ce à quoi nous nous exposons ordinairement dans les études
expérimentales — lorsque nous restreignons notre recherche au sein de
notre propre spirale hôte, la Voie Lactée. Tout d'abord les 100 plus
proches étoiles, pour la plupart de ternes étoiles naines rouges plus
sombres que le Soleil, occupent une sphère large de 50 années lumière.
Avant les années 1960, nous n'avions aucun moyen de savoir si un quelconque
de ces étoiles proches émettait activement dans notre direction. Nous
sommes moins inquiets maintenant de la présence d'un brouhaha très
encombré. Ces étoiles faiblardes très communes ne promettent
guère ; elles semblent peu à même de réchauffer une planète de
façon stable et sûre, et il y a encore des milliards d'étoiles telles que
notre soleil au delà.
La merveilleuse découverte en 1999 d'une planète en orbite autour d'une
étoile stable comme le soleil a montré que des planètes semblables à
notre propre Jupiter accompagnent quelques pour cents parmi toutes les
étoiles solaires, étudiées près de nous à moins de 150 années lumière
environ. Nous connaissons à peu près deux douzaines de tels systèmes
soleil-planète, mais pas encore une seule planète comparable à la Terre,
tout bonnement car nos présentes méthodes sont encore trop grossières
pour détecter de petites planètes rocheuses comme la Terre même si elles
étaient présentes. Nous ne pouvons actuellement trouver que les géantes
gaseuses. Cela devrait changer autour de la prochaine décennie, quand nous
aurons lancé de nouveaux instruments spaciaux capable to détecter des
Terres — seraient-elles présentes.
La recherche de semblables.
Venons-en à la symétrie, qui promet la possibilité de la vie et à des
astronomes ressemblant à nous-mêmes dans les buts, si ce n'est dans les
apparences. Pour découvrir 100 candidats, nous devrons examiner de nombreux
systèmes planétaires, même si nous faisons l'hypothèse que des Terres
— jusqu'ici non vues auprès d'étoiles à l'exception de notre Soleil —
seront bien trouvées, et pas seulement les Jupiters chaudes autour de leur
étoile qui emplissent nos premières listes. Un optimiste proposerait de
chercher parmi le milliard d'étoiles jusqu'à 1 000 années
lumière de nous, nos proches voisins galactiques. Il vient immédiatement
que nous devrions écouter durant des centaines d'années avant que nous
devions tenter d'émettre, sur la base que nous ne sommes sans doûte pas
les premiers astronomes parmi les centaines de Terres chauffées par une
étoile. Nous ne pouvons malgré tout pas exclure notre priorité, nous ne
pouvons clamer une quelconque preuve de cela, en se rappelant de notre
propre exemple unique exemple. Il est alors sensé d'écouter durant un
siècle ou deux avant que nous entrions après un consensus dans une phase
sérieuse de transmission par nous même — l'émission systématique est
bien plus coûteuse que l'écoute. Aussi nous dirons "restons à
l'écoute", et améliorons nos efforts, peut-être au travers d'autres
types de signaux, jusqu'à ce qu'un jour, peut-être dans les années 2100,
le début des transmissions soit donné.
Mais nous savons ceci : nous n'avons pas débuté la
radio-astronomie (ou les lasers, rayons gamma, neutrinos ou ce que vous
voudrez) sur une nouvelle planètes. Au lieu de cela, la vie s'est
développée sur la Terre durant la moitié de l'age de la Galaxie, bien
avant que nous humains sachions même que le Soleil était une étoile parmi
les étoiles. Notre simple espèce dut atteindre ses cinq cent siècles
avant de connaître sa place dans le ciel. La réflexion m'a amené à
arguer du fait que nous ayons dû être de l'ordre du milliard d'êtres
humains pensant avant que notre Terre puisse accueillir des dispositifs tels
que les récepteurs micro-onde, bien plus encore pour les alternatives.
Seule une population à cette échelle peut avoir réuni les innombrables
découvertes, connaissances, théories et ressources qui composent les
technologies modernes : du cuivre aux mathématiques, avec la théorie
et la pratique mondiale qui sustente toute l'astronomie et ses rêves
imaginatifs. Mais une telle spécialisation peut-elle apparaître si
beaucoup plus de gens n'ont pas depuis longtemps gravi des montagnes,
creusés des mines, voyagé, écrits, dessiné, et — oui — rêvé. Une
bande de chasseurs, en dépit de la qualité de ses individus, n'est guère
convaincante en tant que base réaliste pour des transmissions
interstellaires, notre SETI. A milliard d'humains vit sur Terre depuis 1800
(bien sûr, je n'indique qu'un ordre de grandeur, pas un fait précis.) La
technologie est un phénomène social réparti parmi des milliards
d'individus dont les divers modes de vie ont conduit à ce que nous pouvons
faire aujourd'hui. Un Q.I. seul ne peut donner les moyens de détecter des
signaux venant des étoiles. L'intelligence est nécessaire mais non
suffisante. Des premiers faiseurs de feu des cavernes, les hommes de
Cro-Magnon frappeurs de silex, aux Européens autour de Galilée et Newton
— d'admirable découvreurs entre tous, aucun n'aurait pu conduire une
recherche interstellaire avec une quelconque chance de succès.
La première estimation d'une espèce sociale, adepte et pensante d'un
milliard d'individus implique quelques milliards d'années d'une évolution
telle que nous l'avons vécue — c'est vrai, mais nous n'en
connaissons qu'un seul exemple. — Cela permet de définir quand même une
échelle de temps. Sans un système de repérage nous ne nous remarquerions
même pas dans la Galaxie, et nous n'avons encore rien à attendre de notre
nouveau statut, n'ayant connu la radio-astronomie que depuis moins d'un
siècle dans toute l'histoire de la Terre. On voit alors que nos
contreparties détectables sont probablement au delà du niveau actuel de
notre technologie, alors que tous les autres, toujours silencieux et
indétectables, sont de très loin en retrait à l'échelle du temps de
l'humanité.
Ce que nous pourrons voir est un projet ambitieux, ancien selon tous les
standards humains, défini dans une échelle de temps que nous ne
connaissons pas, peut-être soutenu de façon intermittente par quelques
espèces de milliards d'êtres, curieux, efficaces mais pas forcément tout
puissants, maîtrisant une part de nos propres technologies, et se cachant
quelque part ailleurs parmi tant et tant d'étoiles. Eux aussi auront dû
payer le prix de l'énergie nécessaire et attendre une réponse, et ce ne
sont peut-être pas les premiers. Leur présence n'est qu'une conjecture.
Très probablement ils résident parmi les dizaines de millions de systèmes
planétaires, dont nous ne connaissons qu'un très petit échantillon
restreint à deux douzaines de planètes gazeuses. Une planète proche d'un
soleil stable est le premier des barreaux d'une échelle dont la nature
supposée pourrait, selon le seul cas que nous connaissons actuellement,
conduire échelon après échelon, à une autre Terre, à la vie, à
l'évolution, et éventuellement — peut-être — à la conscience, la
curiosité, et la capacité d'entreprendre. SETI est une recherche
audacieuse, mais directe, du dernier échelon de cette échelle ancestrale.
Mettre en évidence plus de preuves, en fin de compte les signaux
physiques que nous espérons tant, SETI est une tâche inscrite dans notre
temps. Cela prendra bien des années, avant que nous aboutissions, ou qu'en
fin de compte nous acceptions l'autre cas, espérons-le, improbable où nous
serions les tous premiers à tenter les échanges distants parmi les 400
milliards d'étoiles de la Voie Lactée. Après tout, si nous nous mettons
à écouter quelque signal authentique parmi les étoiles qui ressemblent
fonctionnellement à ce que nous faisons, de telles conjectures doivent
avoir été vraies et mises en oeuvre quelque part ailleurs dans des temps
plus anciens.
Je m'abstiendrai de formuler une salutation très ancienne mais pourtant
éclairée : Bonne chasse !
Retour au sommaire de SETI@home |